Interview de Jean Claude Taieb, directeur d'hôpital, sur la maltraitance des personnes âgées en établissement


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Interview de Jean Claude Taieb, directeur d'hôpital, sur la maltraitance des personnes âgées en établissement
Interview de Jean Claude Taieb, directeur d'hôpital, sur la maltraitance des personnes âgées en établissement

Interview de Jean Claude Taieb du 15 Fevrier 2011



Jean Claude Taieb, directeur d'hôpital et consultant, nous a fait l’honneur d’une interview concernant la maltraitance des personnes âgées et handicapées en établissement. C’est au travers d’un parcours riche (notamment en tant qu’ancien directeur d’EHPAD) qu’il nous dévoile ses impressions sur le système médical actuel, les effectifs de personnel et sur son association Averoess, organisme créé en 2009 et habilité par l'ANESM (Agence nationale d'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicaux-sociaux).

Audelia Berdugo - Retraite Plus : Bonjour Monsieur Taieb, merci de nous accorder un peu de votre temps afin de donner échos à nos interrogations en matière de bientraitance des personnes âgées et handicapées.
Voici ma première question : En tant que directeur d'établissements médicalisés, avez-vous eu à constater de la maltraitance voire, des abus d'autorité auprès de personnes handicapées ou de personnes âgées ? Les structures et les effectifs mis en place sont-ils suffisants ?

Jean-Claude Taieb : Je suis en réalité directeur d'hôpital, mais j'ai déjà dirigé un EHPAD en annexe de l'hôpital. Il faut d'abord définir ce qu'est la maltraitance. Ce que j’ai pu constater, c’est que la maltraitance physique est très rare... parce qu'elle laisse des traces. Et le personnel, la direction et les familles s'en rendraient compte.
Il existe des maltraitances beaucoup plus pernicieuses, parce qu’invisibles. Ce sont les maltraitances psychologiques et financières, contre lesquelles la justice ne peut pas faire grand chose, justement parce qu'invisibles.


AB-RP : Qu'entendez vous précisément par maltraitance psychologique s’il vous plaît?
JCT : La maltraitance psychologique ou morale, ou mentale, comme on l'entend, consiste en de petits gestes ou paroles d'apparences innocentes ou anodines, mais qui, sans que l'auteur en soit conscient, blessent ou humilient. C'est par exemple poser un plateau repas trop loin d'une personne âgée ou handicapée, donc inaccessible pour elle, et lui dire en reprenant le plateau : "alors mémé, tu n'as pas faim aujourd'hui?" (“Cas réel”)

AB-RP : Donc, d'après vos dires, d'un point de vue déontologique et éthique la signature de la charte de l'établissement n'est donc pas toujours respectée bien qu'étant obligatoire?
JCT :
Ce n'est pas une maltraitance fautive car l'agent n'en a même pas conscience. La charte est plaquée sur un mur, parfois derrière un bureau. Une charte ne suffit pas s'il n'y a pas une formation et un management derrière.

AB-RP : Posons à présent un regard furtif sur le paysage politique et ses mesures concernant les personnes âgées. Que pensez-vous du Plan Alzheimer du président Nicolas Sarkozy ?
JCT :
Ce plan est cogité depuis de nombreuses années. Mais c'est un progrès considérable. La maltraitance ne concerne pas seulement les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, ou autres maladies neurodégénérative. Elle concerne également les personnes qui vieillissent normalement. (Pour en revenir à ces personnes âgées et malades).

AB-RP : Monsieur Taieb puis je me permettre une question subsidiaire ?
JCT :
oui.

AB-RP : Ayant été directeur d'EHPAD et ayant eu l’expérience personnelle d’avoir placé votre fils handicapé (âgé à l’époque de 11 ans) en établissement, ce dernier, ou un membre de l'équipe médicale vous ont-ils déjà rapportés des faits de maltraitance ou de négligence ?
JCT :
Mon fils a 22 ans maintenant. Personne ne m'a rien apporté, mais mon fils parle, et de par mon métier, je sais décoder. Les cas constatés sont par exemple, ne pas le soigner quand il est malade (au motif que le médecin ou l'infirmière sont absents depuis plusieurs jours, voire, semaines) ; c'est de le tutoyer, c'est l'obliger à accepter la présence d'une aide soignante de son âge quand il se douche ; c'est ne pas remplir les documents administratifs dans les délais, parfois avec 6 mois de retard...toutes ces petites choses qui agacent, mettent sous pression...

AB-RP : Merci pour cette réponse Monsieur Taieb, j'apprécie votre franchise. En lien direct avec cette question : d'après-vous les établissements disposent-ils d'effectifs suffisants (médecins ; neurologues ; psychologues et aides soignants...) dans les établissements pour personnes handicapées et âgées, permettant d'assurer une prise en charge optimale ?
JCT :
La question des effectifs n'est qu'une partie du problème. La vrai question est : "du personnel en plus, pourquoi faire, pour quel projet, pour quelle amélioration de la qualité...". Quand on peut répondre à ces questions, on peut alors demander plus de personnel, pour mettre la structure en adéquation avec les projets d'amélioration continue de la qualité. Quoiqu'il en soit, le personnel est nettement insuffisant comparé à la moyenne des autres pays européens. Il est d'autre part mal formé et mal payé.

AB-RP : Votre réponse nous mène dores et déjà à ma prochaine question : la France est-elle en retard en matière de bientraitance ? Et dans quelles domaines doit-on faire des efforts budgétaire : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la recherche, la prévention, les soins, les effectifs... ?
JCT :
La France rattrape son retard, mais par rapport à qui et à quoi ? Tout ce qui est mis en place depuis quelques années va dans le bon sens. La création de l'ANESM, les évaluations internes et externes, les recommandations de bonnes pratiques....Mais cela va prendre du temps, de l'énergie, et coûtera de l'argent. Les établissements vivent une situation impossible. Il leur est demandé de s'engager dans de nombreuses démarches, mais ils n'ont pas le financement pour les accompagner. On tourne en rond.

AB-RP : D’après vous, la France tourne en rond et a un peu du mal a faire des choix ?
JCT :
En fait, nous sommes au pied du mur. La population vieillit, et tant mieux pour elle. Elle vieillit de plus en plus en bonne santé, et nos aînés n'acceptent d'entrer en établissement que lorsqu'ils n'ont plus le choix. Ce sera de plus en plus difficile pour ces établissements car les personnes accueillies seront de plus en plus dépendantes et vulnérables, d'où la nécessité d'un personnel mieux formé et plus motivé.
Je tiens aussi à préciser qu’il existe une autre maltraitance (la maltraitance financière), un autre abus vis à vis des personnes âgées, appelée aussi "la maltraitance astucieuse", celle qui consiste en des ventes forcées à domicile, par des démarcheurs indélicats. Pourtant, une loi votée en mars 2007 est censée protéger les personnes vulnérables contre de tels abus. La profession prolifère, le marché est exponentiel, et les personnes âgées de plus en plus victimes. Quand ce n'est pas par leur propre famille...sous laquelle elle est en dépendance affective.
(Lire L'Express paru le 9 février 2011, article page 78, intitulé "Abus de vieillesse").


AB-RP : J'ignorais qu'il existait des formes décuplées de maltraitances...c'est triste...
Monsieur Taieb pourriez-vous nous parler de la revue d’Averoess, de quoi traite-t-elle plus précisément ?
JCT :
Averoess n'est pas seulement une revue. C'est un organisme de conseil, d'audit, d'évaluation, de formation,... en direction des établissements sociaux et médico-sociaux, et même des associations d'aide à domicile. Nous proposons un état des lieux, puis des actions correctives, qui peut-être au niveau de l'organisation, de la formation, du recrutement, de l'élaboration de projets...et même de management de transition, en cas de départ non programmé d'un directeur.
Nous sommes habilité par l'ANESM à pratiquer des évaluations externes, dont la finalité peut être le renouvellement de l'autorisation. Mais aussi et surtout de vérifier que l'établissement s'est bien engagé dans une démarche continue de la qualité, et lui donner conseils et recommandations pour la continuer.


AB-RP : c'est très intéressant ! Et qu'est ce que l'ANESM ?
JCT :
L'ANESM est agence née de la volonté de l'Etat d'accompagner les établissements sociaux et médico-sociaux dans la mise en oeuvre de l'évaluation interne et externe. Elle promeut également la culture de la bientraitance dans ces établissements. C'est cette agence qui habilite (ou pas) les organismes chargés de faire les évaluations externes.

AB-RP : est-elle consultable en ligne uniquement ?
JCT :
L'ANESM est consultable en ligne, https://www.anesm.sante.gouv.fr,
Averoess aussi : https://averoess.free.fr


AB-RP : Enfin il me reste deux dernières questions importantes, si vous le voulez bien.
JCT : oui


AB-RP : d'après vous quelles mesures sont à envisager pour le futur ?
JCT :
Il y a d'abord une question de société. Les mesures à prendre sont d'abord en nous-même. Souvenez-vous de la canicule de 2003. Ce n'est pas dans les établissements qu'il y a eu le plus de morts, mais au domicile. Quand on part en vacance sans se préoccuper si son vieux père ou sa vieille mère a au moins un verre d'eau...cela pose question. L'Etat et le contribuable ne peuvent pas tout faire. Comme pour le personnel des établissements, il y a une révolution culturelle à faire, et nous sommes tous concernés.

[caption id="attachment_1132" align="alignleft" width="200" caption="Couverture du livre "Soigner en gériatrie, un art, une passion""][/caption]

Je vous conseille d’ailleurs de lire : “Soigner en gériatrie, un art, une passion”... de Béatrice Walter qui est en train de republier son livre, après l'avoir réactualisé.


AB-RP : je clôture l'interview avec une question qui me trotte dans la tête depuis ma visite sur le site Averoess, pourquoi avoir choisit ce philosophe ?
JCT :
C'est un signe d'ouverture. Il vivait à une époque où Cordou était la capitale de la tolérance, un très haut lieux ou musulmans, juifs et chrétiens philosophaient librement et faisaient avancer l'humanité.

AB-RP : Le choix d'un grand homme pour une cause juste et préoccupante... Monsieur Taieb je vous remercie de votre temps et pour toutes vos réponses toutes aussi intéressantes que riches en expérience !

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