Traques, nouveau roman en maison de retraite


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Traques, nouveau roman en maison de retraite
Tout de suite elle a imposé une voix, un style, une prose impeccable, une manière de décrire la perdition, la désintégration, les destins contrariés. Avec netteté et dureté, sans jamais se laisser aller au pathos ou au misérabilisme.



Traques, éditions de l'olivier


Frédérique Clémençon est très discrète. Trois romans seulement en dix ans, Une saleté, Colonie (tous deux chez Minuit) et aujourd'hui Traques. Elle avait 31 ans lorsqu'elle a publié pour la première fois, et tout de suite elle a imposé une voix, un style, une prose impeccable, une manière de décrire la perdition, la désintégration, les destins contrariés. Avec netteté et dureté, sans jamais se laisser aller au pathos ou au misérabilisme.


Mais contrairement au malaise, au poison familial d'Une saleté ou au dégoût qu'on pouvait éprouver pour la vieille mère et son fils, dans le huis clos de Colonie, on sent dans Traques une forme de compassion pour les quatre personnages et leur tentative sans doute désespérée de résister à l'enfermement social, à la traque incessante de la société sur les individus.


On est dans une ville maritime, et Jeanne, qui prend la parole en premier, a aimé "la bruyère endormie", "la rumeur de la mer" et "les oiseaux nichant dans les anfractuosités des falaises". Elle commence une conversation avec un inconnu qu'elle vient de rencontrer, Anatole. Elisabeth, elle, après trois semaines d'hôpital, est trop vieille et trop malade pour rester seule, elle entre donc dans une maison de retraite, où un seul de ses deux fils, Vincent, vient lui rendre visite.


Très vite, on les sent tous programmés pour le malheur, mais décidés à ne pas se soumettre. Jeanne a fui, avec juste une valise et un peu d'argent, une famille hantée par un horrible secret, dont elle fait un récit presque clinique. Anatole vient de bien plus loin, chassé de son pays, et raconte sa longue errance, la crainte presque quotidienne, des "nuits pleines de menaces et de cris", pour finir dans une usine désaffectée d'où l'on ne voit même pas la mer : "Je comprends que l'air humide qui poisse mes cheveux vient de la mer, mais je ne sais rien d'autre d'elle."


Vincent ne supporte plus son entreprise. Il lui arrive d'allumer une cigarette, croyant ses collègues partis, comportement non seulement incivique, délinquant, mais signe de trouble mental. Tout comme le fait de quitter, sans y être autorisé, un de ces stages de formation dans lesquels on n'apprend rien, sauf à devenir de plus en plus docile. "Il y en a même qui pensent que vous devriez vous faire soigner", lui dit un chef.


Ils prennent la parole tour à tour, et on éprouve pour eux, comme Frédérique Clémençon, une sympathie inquiète. Il est possible que Jeanne et Anatole, qui ont envie de continuer leur conversation, trouvent un chemin commun. Mais Elisabeth et Vincent semblent bien être, malgré leur volonté de ne pas consentir à leur sort, dans une spirale d'échec. Vincent, à cause de sa passivité le transformant en "eau dormante", et Elisabeth en raison de son grand âge. Elle est pourtant le personnage le plus rebelle des quatre, alors qu'elle est la seule à être vraiment condamnée, dans un lieu par définition mortifère, où l'on évalue sans cesse les pensionnaires, notant leur "cohérence", capacité à s'habiller et se laver seul, mobilité, sens de la communication, etc.


Elisabeth est de moins en moins bien notée. Elle commence par refuser d'aller dans la salle commune : "Je ne veux pas manger à côté de ces porcs. Je ne dois pas me laisser couler." Mais résister est aussi, dans cette maison de retraite, une manière de couler. On est contraint de s'enfermer dans ses souvenirs et ses rêves de fuite. Ou d'avoir le courage de l'ultime liberté : "Me jeter dans le vide."



Source: Le Monde

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